"En 2022, nous serons mobilisés pour la guerre du transport" – Diego Mombelli (Asmodee)

OVRSEA part chaque mois à la rencontre de ses clients pour évoquer l'actualité du fret et de la logistique mais aussi les défis actuels et à venir. Cette semaine, rencontre avec Diego Mombelli.

OVRSEA part chaque mois à la rencontre de ses clients chargeurs pour évoquer l'actualité du fret et de la logistique mais aussi les défis actuels et à venir. Cette semaine, rencontre avec Diego Mombelli, Global Supply Chain Director d’Asmodee, éditeur et distributeur de jeux de société présent dans le monde entier. Comment une société qui réalise la grande partie de son chiffre d’affaires en fin d’année et produit près de 50 % de ses jeux en Chine s’est-elle adaptée à la nouvelle réalité chaotique du transport ? Nous lui avons demandé.

Bonjour Diego ! Avant de rentrer dans le vif du sujet, un petit mot sur vous et sur Asmodee ?

Je suis depuis 2019 le Global Supply Chain Director d’Asmodee, après un parcours qui m’a vu passer par de grands groupes (Nestlé) comme de petites multinationales. Mon équipe et moi-même avons pour missions de gérer toute la supply chain amont, depuis la production jusqu’à la livraison à nos filiales. Nous avons une vingtaine d’unités de distribution à travers le monde, qui distribuent nos jeux mais aussi ceux de partenaires locaux.

Quelles sont vos caractéristiques en matière de flux logistiques ?

Même si notre pays source principale est la Chine, nous travaillons à augmenter notre part de production locale pour limiter notre impact écologique. La Chine reste incontournable grâce à l’expertise de nos partenaires locaux, la nature des composants nécessaires et la capacité de production chinoise, pour l’instant introuvables en Europe ou aux Etats-Unis. Nos volumes logistiques représentent environ 5000 conteneurs EVP (Equivalents vingt pieds) par an, qui sont des volumes relativement faibles pour la grande industrie. Nous visons donc surtout l’hyper-planning, la qualité de service et l’agilité pour assurer la supply des diverses usines.

Actu chaude : la crise énergétique pousse les autorités chinoises à fermer ou limiter certaines usines. Etes-vous concernés ?

Nous constatons un impact très léger dans quelques usines, mais pour le moment limité. Notre production n’étant pas énergivore, les usines avec qui nous travaillons ne sont pas les plus touchées. Mais nous surveillons la situation de près.

Quelles sont vos principales difficultés du moment ?

Nos difficultés externes sont celles que tout chargeur international connait ! La conséquence concrète pour nous, comme pour tant d’autres, sont des lead times depuis la Chine allongés de 8 semaines à 14 semaines… A côté de cela, il y a les défis internes. Le plus grand d’entre eux est de garantir la bonne visibilité des flux et cela passe par un travail fin auprès de nos prestataires de transport, à qui nous demandons plus de « générosité » dans la visibilité. La crise a permis d’accélérer la transparence avec eux, qualité au cœur de notre relation avec OVRSEA. Au final, tout le monde y gagne et la confiance se renforce. La transparence est le remède pour éviter la panique dans un tel contexte.

Qu’est-ce que cette crise a provoqué d’autre dans vos réflexions et votre organisation autour du transport ?

Cette situation d’instabilité nous a poussé à plus de curiosité, à regarder ailleurs au cas où l’un de nos prestataires nous ferait malheureusement défaut. En parallèle, nous renforçons nos équipes dédiées au transport, dont l’activité et la complexité se sont accrues cette année. Les managers doivent être au plus près des équipes, les accompagner dans le changement, car la pression est parfois très forte.

Cette crise sans précédent vous a-t-elle également obligé à revoir votre stratégie logistique ?

Nous avons géré la crise en faisant du stock. Si nous ne l’avions pas anticipé, les dégâts seraient sûrement plus lourds aujourd’hui. Ce n’est jamais une solution que l’on affectionne, mais elle est inévitable quand la plupart des volumes se font entre septembre et Noël. Dès 2020, nous avions senti qu’il serait nécessaire de réserver des capacités très tôt du côté de la production, nous avons ainsi misé sur des contrats annuels plus élevés avec nos usines partenaires.

Comment évolue le marché du jeu ?

La crise sanitaire a eu sur notre marché un effet boost, avec une accélération du digital, mais aussi avec plus de découverte de nos jeux, puisque les gens ont passé plus de temps à la maison. La gestion de la croissance est devenue un défi, car les besoins à produire devaient intégrer la croissance des ventes et la constitution des stocks plus importants, à cause de l’augmentation des délais de supply.

On ne va pas sortir la boule de cristal, mais comment abordez-vous les mois à venir ?

Nous avons fait le choix de projections pessimistes. Toutes nos hypothèses et notre budget pour 2022 se basent sur l’idée que la situation du fret ne changera pas par rapport à cette rentrée. La bonne nouvelle, c'est que nous sommes mieux préparés mentalement. Si l’année 2020 a été marquée par la grande crise sanitaire qui a affecté les usines de production, 2021 a été la découverte du chaos du transport maritime. En 2022, nous serons mobilisés comme des soldats pour la guerre, la guerre du transport.

Après ces 18 mois un peu fous, quels conseils donneriez-vous aux autres chargeurs ?

Que l’anticipation, la communication au fil de l’eau et l’adaptabilité sont plus que jamais indispensables. Je conseille aussi de travailler au maximum sur des chiffres réels et non plus sur des prévisions approximatives, élément qui nous a permis d’aider nos filiales et clients à mieux anticiper leurs besoins. Nous essayons de tracer les conteneurs livrés pour obtenir une fourchette précise des différents délais (booking, transit, ports, acheminement terrestre). Cela nous permet de nous baser ensuite sur ces chiffres réels pour mieux travailler les plannings d’achats.

Trois mots sur Le Chargeur avant de nous quitter ?

Thermomètre du marché ! C’est exactement le genre de média qui aide à accompagner les équipes, nos « soldats » au quotidien, tout en faisant sentir que nous ne sommes pas seuls dans la tempête.